Texte par Julie Aubé

Depuis 25 ans, le Réseau des fermiers.ères de famille (RFF) cultive la solidarité entre les mangeurs et les gens passionnés et passionnants qui nous donnent accès à des paniers bio frais et locaux.  L'année 2021 est spéciale pour le RFF qui célèbre ses 25 ans. Des noces d'argent entre les mangeurs et leurs fermiers de famille qui valent tout l'or du monde en termes de proximité alimentaire! Pour l’occasion, j’ai tendu le micro à cinq d’entre eux pour écouter leurs réflexions sur l’agriculture d’aujourd’hui et de demain, avec un intérêt porté aux mots pour en parler.

Les fermes qui ont participé à ce vox pop fermier :

Vincent Marcoux – Le Jardin des Funambules 
Donald Dubé – Ferme du Vert Mouton 
François D’Aoust et Mélina Plante – Les Bontés de la Vallée 
Véronique Bouchard – Ferme Aux petits oignons 
Caroline Poirier – Ferme Croque-Saisons 



Au-delà du mot « bio » (déjà commun aux fermiers du RFF), quel mot décrit le mieux l’agriculture que vous souhaitez voir se développer ? 

Connexion. Ce qui me motive dans mon métier, c’est la connexion avec les humains, l’aspect « communauté locale ». Il faut s’éloigner des magasins à grandes surfaces et arrêter de s’enfoncer dans la déconnexion. L’agriculture doit se rapprocher des gens, pas s’en éloigner.  – Vincent   

Proximité. TOUT s’appui sur la proximité! La proximité entre les gens qui partagent un territoire (ceux qui le cultivent et ceux qui s’en nourrissent) doit continuer de se développer.  – Donald   

Vivant. L’agriculture doit se développer autour des principes du vivant, plutôt qu’en rasant tout pour s’implanter, uniformiser et contrôler. Elle ne doit pas représenter notre « supériorité » sur la nature : cela mène à la stérilité plutôt qu’à la diversité, à la-coexistence et à la collaboration. Elle doit s’intéresser davantage à la rusticité, voire au ré-ensauvagement. – Mélina et François
   
Solidarité. Le succès du RFF réside dans la valorisation de l’entraide et de la coopération plutôt que de la compétition. Il y a beaucoup de générosité et de partage de connaissances entre les fermes : ça augmente la résilience de nos systèmes et nous fait avancer, en co-innovant et en co-évoluant. La solidarité doit continuer de se développer, autant entre fermes qu’entre mangeurs et producteurs.  – Véronique 
 
Convivialité. La convivialité fait référence aux relations positives entre les personnes, et aussi à l’idée de s’attabler ensemble. S’attabler ensemble, à l’échelle d’une communauté, ça implique l’équité. Développer une agriculture plus conviviale rime avec plus de lumière sur les agriculteurs afin qu’ils travaillent moins dans l’ombre et qu’il y ait une volonté collective d’en faire une profession plus équitable, avec une charge mentale allégée et des responsabilités mieux partagées, des salaires plus attractifs, des possibilités d’emplois créatifs. Tout cela rendrait l’agriculture plus attirante… et conviviale! – Caroline 

 

 

À quoi riment les mots « agriculture régénérative » pour vous? 

À une organisation du territoire et à des pratiques agricoles qui permettent aux systèmes de s’améliorer d’année en année en s’assurant que le vivant est partout. Cela inclut une notion de durabilité dans le temps et l’idée d’avoir des systèmes agricoles plus résilients, basés sur la valeur qualitative de l’environnement en général.  – Vincent 
 
À un processus de guérison. On guérit un corps quand il est malade : il faut guérir les sols appauvris par l’agriculture conventionnelle. Mais ça va plus loin : on doit aussi régénérer les terres en friches qui pourraient être remises en culture pour nourrir les gens. On doit régénérer les dynamiques sociales sur le territoire et nos liens entre gens des communautés rurales. La régénération en agriculture, ça dépasse les pratiques agricoles. – Donald 
   
À un renversement de la dégradation des terres visant à les améliorer en y insufflant de la vie, afin d’augmenter la résilience face aux changements climatiques et à en atténuer les conséquences. Seul le vivant peut créer l’abondance : l’idée donc de s’inspirer des principes de la Terre mère, d’observer la nature et de collaborer avec elle plutôt que d’essayer de tout contrôler. – Mélina et François 
 
À l’antithèse du mot « exploitation ». Oui, il faut « prélever » pour nourrir, mais il ne faut pas « exploiter ». Le but, c’est de produire pour nourrir notre génération, mais les suivantes aussi. L’agriculture régénérative implique donc une vision à long terme, en mettant l’emphase sur des pratiques notamment reliées à la santé des sols. Mais il ne s’agit que d’un des éléments des agroécosystèmes. J’aime l’agroécologie, qui inclut les pratiques ET aussi l’aspect social et le volet politique de l’agriculture. C’est une approche globale, systémique, inclusive et non-culpabilisante.  – Véronique
   
À l’amélioration des processus naturels au sein de notre agriculture, par des pratiques créant des conditions propices (travailler moins les sols et les couvrir, soutenir la biodiversité…) pour favoriser l’expression des services écologiques que l’environnement peut offrir. Ces pratiques sont importantes, mais on ne tient pas compte de toute la vastitude d’un système alimentaire si on n’inclut pas l’humain dans l’équation, ce que fait notamment l’agroécologie. Par exemple, une personne dans la précarité (psychologique, financière ou autre) n’est pas dans un état qui favorise les changements de pratiques, puisque son énergie est mise à garder la tête hors de l’eau. En se préoccupant davantage des humains qui pratiquent l’agriculture, en s’assurant qu’ils sont épanouis et sereins, on installe les bases d’un contexte propice aux améliorations des pratiques, au développement des milieux et à la fixation d’objectifs écologiques ambitieux. – Caroline 

 

L’agriculture a besoin de se préoccuper davantage de… 

La qualité de vie des fermiers. Se préoccuper d’agriculture, c’est se préoccuper des humains qui la font. Il y a tellement de pression à gérer une entreprise et le fardeau est lourd sur les agriculteurs. On doit s’assurer qu’ils ne travaillent pas 75h par semaine pour nourrir les gens! C’est souvent le cas… parfois au détriment de leur santé physique et mentale, pour se faire dire par des gens qui travaillent 40h que leurs tomates sont chères. Ça n’a pas de sens. Comme fermier, il faut oser mette les justes prix, et comme société, il faut valoriser non seulement les aliments, mais TOUT ce qui a été mobilisé pour les produire.  – Vincent 

Des régions. Si on fait le choix, comme société, de gagner en autonomie, il va falloir se tourner vers les régions, car c’est là que sont les terres agricoles, soit notre garde-manger. Pourtant, plusieurs communautés rurales ont de la difficulté, il y a un exode (notamment des jeunes), un effritement du tissu social. Avec les bouleversements climatiques, il est probable que des pays du sud qui fournissent actuellement des aliments ne pourront plus le faire (ou ne voudront plus, pour les garder pour eux). Quand les choux-fleurs importés seront rendus à 15$ ou plus, il sera tard pour se tourner vers les régions et réaliser que les terres en friches ne sont pas prêtes pour nous nourrir. C’est maintenant qu’il faut réaliser que l’avenir est en région.  – Donald 
 
Du grand tout! L’agriculture a besoin d’une vision globale, incluant ses impacts sur l’eau, l’air, les insectes, les humains, les paysage, etc. Notre futur collectif dépend de comment on traite l’environnement; c’est incroyable que ce ne soit pas un plus gros focus pour tous! L’environnement et l’agriculture ont donc besoin… qu’on s’y intéresse! Jardiner est un excellent moyen de reconnexion aux aliments, éventuellement à la réalité agricole, à l’environnement et au grand tout.  – Mélina et François   

D’humilité. C’est une valeur qui manque cruellement dans la société. L’humain a un égo démesuré : il veut contrôler, s’approprier. Pour mieux contrôler, on tend à simplifier, à décomposer, à tout ramener à des nutriments, à des composés, à des ingrédients. L’humilité, c’est accepter que la nature fait les choses beaucoup mieux qu’on ne pourra jamais le faire. Un écosystème naturel, c’est un équilibre magique. Ce qu’on doit faire, c’est favoriser cet équilibre. – Véronique
   
Des personnes. En commençant par une rémunération équitable des gens qui produisent les aliments. Des salaires bas riment avec précarité et difficulté de retenir les employés (impliquant la nécessité de former à chaque année). Il semble pourtant réaliste d’être créatifs pour trouver des façons d’instaurer un soutien structurant au salaire équitable dans tous les secteurs agricoles. Cela rendrait nos fermes diversifiées plus pérennes et durables.  – Caroline 

 


Pour l’agriculture du futur, je rêve… 

De plus de connexion entre les gens, l’agriculture et la nature, et de plus de respect pour notre (seule!) planète. Le futur, ce n’est ni les OGM, ni les intrants de synthèse, ni les produits faits en laboratoire, ni l’artificialisation. Il rime avec la santé des écosystèmes, point barre. Comme agriculteurs, on habite le territoire et on peut transformer nos fermes en oasis de diversité pour la nature et les gens… à condition de pouvoir en vivre. L’agriculture a le potentiel de devenir un levier permettant de ne pas rendre la planète inhabitable. Mais ça ne peut pas reposer seulement sur les épaules des fermiers : ça prend plus de partage de responsabilités entre fermiers et mangeurs. Je rêve d’une agriculture qui soit moins approchée de façon individualiste (en focusant sur le prix des aliments par exemple) mais davantage de façon collective, comme un travail d’équipe entre ceux qui mangent et ceux qui nourrissent et qui, ce faisant, prennent soin des oasis de diversité dont le futur a besoin pour exister.  – Vincent 
 
De voir l’autonomie alimentaire à l’échelle québécoise devenir un projet de société. Si on n’avait pas nationalisé l’électricité, c’est le privé qui ferait de l’argent avec l’énergie aujourd’hui. Or on est maintenant devant la nécessité de se sécuriser du point de vue alimentaire. On a le savoir-faire et on a les terres avec toutes les friches que l’ont pourrait posséder comme nation et remettre en production. Pourquoi ne pas rêver d’une société d’État qui pourrait acquérir ces friches et investir pour leur remise en culture? Ce faisant, l’État accomplirait son devoir de conserver notre « capital terre agricole » à l’abri de la spéculation, assurant notre sécurité dans un contexte de changements climatiques. L’autonomie alimentaire, c’est un rêve nécessaire, qui inclut plein citoyens - moins stoïques et plus engagés pour le bien commun – s’établissant en région pour participer au projet, garder le savoir-faire vivant et faire revivre les communautés rurales.  – Donald   

À l’inverse d’aller en grande surface pour un rapport quantité-prix! Quand le besoin de se nourrir est comblé par « d’autres », les gens y pensent moins et se créent d’autres besoins…. On rêve que l’agriculture devienne (ou redevienne) plutôt le résultat d’un travail collectif, dans le sens de « on a pris soin ensemble » d’un territoire, et voici ce qu’on récolte ». On rêve que l’acte de se nourrir soit plus « sacré », qu’il soit un moteur de nos journées, qu’il relève du vécu collectif.  – Mélina et François    

Qu’on sorte de l’orbite du nombril du consommateur et de l’individualisme! Qu’on sorte des rôles de « producteurs » vs « consommateurs », et qu’on se voit tous comme des citoyens qui ont des rôles différents dans un cheminement collectif vers une agriculture qui peut nourrir à court terme, moyen terme et long terme. Bref, qu’on soit TOUS des acteurs de la transition écologique, et qu’on fasse le chemin ensemble. – Véronique 
 
Qu’on accepte socialement de payer le juste prix pour les aliments. Et transformer ça en fierté! Je rêve aussi qu’on se fixe collectivement des objectifs plus ambitieux. Pourquoi l’agriculture bio ne serait-elle pas la plus pratiquée? C’est quand on se donne des objectifs ambitieux qu’on se dote de moyens pour les atteindre.  – Caroline   

 

Note finale

Évidemment, ces extraits de conversation ne représentent qu’un aperçu de la richesse des réflexions des gens qui mettent les mains à la terre au quotidien. L’invitation est lancée à poursuivre les conversations avec les agriculteurs que vous rencontrez! Durant mon échange avec Caroline Poirier, je lui ai dit à quel point je trouve les fermiers.ères inspirants, tant par leurs actions que par leur réflexions. Elle a répondu, comme si c’était la chose la plus évidente du monde : « c’est la nature qui nous inspire ». Un joli mot de la fin.

 

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