Texte par Élodie Villalon

 

Growers & Co. est parti à la rencontre d’Ariane Paré-Le Gal, passionnée de cueillette et de cuisine sauvage, et copropriétaire de l’entreprise Gourmet Sauvage. Elle s’est donné pour mission de mettre en lumière les ressources comestibles de nos forêts en proposant des produits sauvages issus d’une cueillette responsable. Dans cette interview, Ariane nous invite à renouer avec nos instincts de chasseurs-cueilleurs.

Parle-nous de ton parcours ?
Je suis née sur la Côte-Nord, mais j’ai passé une grande partie de mon enfance à Montréal. Au cours de mon adolescence, j’ai souvent accompagné mon père dans les bois. J’ai fait des études en journalisme et j’ai travaillé dans le domaine de la télé pendant presque 10 ans. À l’époque, rien ne me prédestinait à faire de la cueillette sauvage mon métier.

Peux-tu nous raconter l’origine de Gourmet Sauvage ?
Mon père est franco-manitobain, passionné par l’apprentissage de savoirs ancestraux. Pendant plusieurs années, il est allé à la rencontre des peuples autochtones afin d’observer et de comprendre leurs techniques de chasse, de pêche et de cueillette. À l’aube de ses 40 ans, il a eu envie de rassembler ses savoirs et de les transmettre — c’est alors qu’il crée Gourmet Sauvage et commercialise les produits sauvages issus de ses cueillettes. À l’époque, en 1993, c’est un vrai pionnier. Au Québec, comme ailleurs au Canada, il n’existe pas de marché dans ce secteur. Il a fallu compter une dizaine d’années avant qu’il puisse se donner un salaire. Et puis, au fil du temps, l’entreprise s’est enracinée dans le paysage local.

En 2007, alors que j’étais encore journaliste, j’ai coanimé avec mon père une émission appelée Coureurs des Bois sur le thème de la cueillette et de la cuisine sauvage. Je me suis alors replongée dans l’océan de connaissances de mon père, et j’ai réalisé à quel point ses savoirs étaient précieux. Ce ne sont pas des savoirs que l’on retrouve dans les livres de sciences ou à l’université, ils sont acquis grâce à la pratique et se transmettent de génération en génération. Mon père, à l’époque, souhaitait s’éloigner de l’entrepreneuriat afin de se consacrer plus amplement à l’enseignement, et c’est pour cela que mon conjoint et moi-même avons décidé de reprendre l’entreprise.  

Qu’en est-il aujourd’hui ?
Six ans plus tard, l’entreprise a grandi et est maintenant située à Saint-Faustin, près de de Mont-Tremblant. Spécialisé en cueillette, trans- formation et commercialisation de produits issus de nos forêts, Gourmet Sauvage offre aujourd’hui plus d’une centaine de produits sauvages, cueillis à la main dans toutes les régions du Québec et transformés de façon artisanale dans les Laurentides. Les confitures, marinades, moutardes et tisanes aux saveurs de la forêt sont aussi offertes dans plus de 200 points de vente à travers la province. L’éducation est au cœur de nos valeurs et nous avons aussi mis en place des ateliers de cueillette sauvage afin de faire découvrir au plus grand nombre les ressources précieuses de notre province.

Quel message Gourmet Sauvage souhaite-t-il transmettre ?
Chez Gourmet Sauvage, j’aime dire que nous sommes des créateurs de sens. Notre mission est de reconnecter les gens à leur environnement sauvage et de recréer un lien avec le vivant. À travers le prisme de la cueillette sauvage, nous faisons redécouvrir la forêt comme un garde-manger originel. Éduquer la population à la découverte et au respect de ses ressources est essentiel.

Comment cueillir responsablement ?
En tant que cueilleur responsable, on doit faire très attention à ne pas créer un engouement pour une plante qui pourrait en subir les conséquences — il faut se demander : « Que va-t-il se passer si cette plante devient populaire ? » Un très bon exemple de plante pour laquelle il y a eu un engouement fortuit est le lichen des caribous. Autorisé à la cueillette, ce lichen de couleur vert pistache sans vraiment de goût est une très belle plante adorée des chefs pour la décoration de leurs assiettes. Cependant, le lichen des caribous met environ 80 ans à pousser — il est donc de notre responsabilité d’informer les chefs de cette réalité et de ne pas commercialiser cette plante.

« J’ai ressenti la responsabilité de passer les savoirs de mon père à la fois dans mon cercle proche, mais aussi à plus grande échelle. »

Au cours de la cueillette, voici des règles simples à appliquer :
1. Ne jamais laisser de traces, préserver le milieu.
2. Identifier ses besoins avant la cueillette et prendre juste ce dont on a besoin, pas plus.
3. Cueillir avec parcimonie : ne pas tout cueillir sur une seule et même zone.
4. Pour ma part, et dans le cas de plantes fragiles, je ne cueille jamais la première chose que je vois, car c’est peut-être la dernière. Alors, quand je tombe sur une plante, je la constate d’abord puis je continue ma marche pour m’assurer qu’il y en a d’autres — c’est seulement après cette vérification que je cueille.
5. Prendre quelques secondes pour « demander la permission et remercier » — exprimer sa gratitude et maintenir une réciprocité avec le milieu dans lequel on cueille permet de se recentrer sur le moment présent et de faire les bons choix.


Au-delà de la cueillette responsable, nous faisons en sorte d’avoir une responsabilité tout au long de la chaîne de production. Par exemple, après la cueillette, le produit est brut et le moins transformé possible. Au bout de la chaîne, nous racontons à nos clients une histoire authentique qui est la nôtre afin qu’eux-mêmes racontent cette même histoire dans leur restaurant ou chez eux.

 

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*Ici adapté pour le web. Tu peux lire l'article complet dans la version française du quatrième numéro du Magazine Growers & Co.
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